Facebook

Créer par LeBlogger | Customized By: Ajouter ce gadget

lundi 21 septembre 2015

Autonomie et gouvernance : illustration à Enampore

Que signifie un projet de développement autonome ? Plus précisément quel sens donner au mot «autonomie » ? La réponse courte met l’accent sur la liberté de choisir ses propres règles (auto-nomos : établir ses propres normes). Dans cette première acception, l’autonomie est le concept d’organisation politique traduisant une philosophie dont le motto pourrait être (en forçant un peu le trait) « ni dieu, ni maître ».

Mais comme toute réponse courte, elle laisse de côté le volet sans doute le plus important. 



Si l’autonomie me confère la liberté de fixer mes propres règles, cela suppose qu’il doit y avoir des règles, c’est-à-dire que je me fixe des limites à ma propre liberté… Autonomie, dans ce second sens, est moins liberté qu’auto-contrainte, c’est-à-dire volonté et capacité collective « à s’empêcher ». Je tiens, bien que je n’aie pas la place de développer ce point ici, que toute problématique politique, économique ou sociale est à son cœur une question qui nous est posée sur les limites que nous acceptons à notre propre liberté et donc appelle une réflexion sur la gouvernance.


De ce paradoxe (l’autonomie comme liberté de restreindre sa liberté), découlent trois prérequis qui sont critiques au succès du projet de développement autonome et qui sont parfaitement bien illustrées dans le royaume d’Enampore.

Le débat sur les limites suppose la démocratie directe

Le premier prérequis est que les limites qui seront consenties par chacun à sa propre liberté doivent être explicitées, clarifiées et discutées au sein de la communauté car ce sont elles qui vont définir de manière très concrète le cadre d’exercice des libertés individuelles. Ce travail d’élucidation et d’interprétation collective devant converger vers une compréhension commune suppose une éducation de tous à la bonne appréhension des enjeux du temps et aux différentes options existantes pour y répondre. On ne peut pas imaginer un vrai débat collectif sur les limites que va s’imposer volontairement une collectivité humaine si ce débat ne peut être mené que par des experts qui vont s’accaparer la parole publique.

Dans les régimes théocratiques (et donc par définition hétéronomes), les rôles d’experts sont tenus par le clergé qui s’auto-attribue le droit exclusif d’interpréter le texte sacré et de le traduire en commandements ou en interdits. Dans nos états prétendument démocratiques, ce sont les politiciens professionnels et les pundits auto-proclamés qui sont amenés à s’opposer sur des points de vue incompréhensibles par le plus grand nombre, laissant au peuple le vote tous les 4 à 5 ans pour seule modalité de participation.
Pour que les règles et les institutions qui vont les porter puissent être choisies, mises en œuvre, contrôlées et, le cas échéant, remises en question par les membres de la collectivité, il faut un accès direct de la population à la prise de décision et à l’information produite par les mécanismes de contrôle. Une communauté autonome digne de ce nom met ainsi en œuvre la démocratie directe c’est-à-dire la capacité pour chacun de s’informer complètement et de participer avec ses idées à la délibération (et non pas seulement avec le bulletin qu’il jettera dans l’urne).

A Enampore, nous avons été invités à la réunion annuelle de la paroisse lors de laquelle le bureau sortant a présenté les résultats financiers et rendu compte de ces actions à l’ensemble des paroissiens. Chacun a pu alors demander des informations complémentaires sur les recettes et sur les dépenses, critiquer la gestion par le bureau sortant, proposer des projets pour l’année à venir et voter sur les prochaines actions à mettre en œuvre. La réunion a été animée et sans langue de bois mais courtoise et conviviale et bon nombre de nos associations et partis politiques pourraient s’inspirer de ce que nous y avons vu lorsqu’ils se gargarisent de « démocratie interne » et de « leadership participatif ».

Des limites locales pour des enjeux locaux

Ce qui nous amène au second prérequis.  Pour être valablement débattues et que les décisions prises collectivement aient un quelconque impact sur la vie quotidienne des citoyens il faut que les problématiques soient à la portée de la communauté. Une bonne part de notre incapacité à résoudre certains de nos problèmes socio-économiques les plus aigus provient sans doute du fait que nous cherchons obstinément des solutions à un niveau institutionnel inadapté (par exemple, le niveau national pour réduire le chômage alors que des initiatives très locales ont montré qu’elles étaient souvent plus efficaces et durables dans leurs effets).

Les questions de politiques à traiter par une communauté ou par une nation, c’est-à-dire les limites qu’elle va accepter pour elle-même (comme par exemple limiter le temps de travail et donc l’enrichissement individuel en contrepartie d’une réduction du sous- emploi, ou limiter la recherche scientifique sur le clonage même si cela peut réduire nos capacités à traiter certaines maladies ou encore limiter les surfaces agricoles exploitées par paysan pour garantir un accès à l’eau équitable ou suffisant à tout le monde, …) doivent avoir du sens dans la pratique quotidienne des membres de cette communauté.
Mais cela est vrai aussi de tout sous-groupe de la communauté qui doit pouvoir aussi s’auto-instituer et s’auto-saisir des problèmes qui le concernent directement. A Enampore, on trouve plusieurs groupes confessionnels et des associations de femmes, ou encore une association de jeunes qui discutent et agissent sur les problématiques qui les affectent. Tous ces groupements agissent séparément mais se coordonnent dans des instances formelles ou informelles pour construire les choix politiques qui engagent l’ensemble de la collectivité.

Débat contre pensée unique

Pour qu’il y ait débat, il faut qu’il y ait différence des points de vue. Cette évidence, qu’il est parfois bon de rappeler, doit nous alerter sur le fait que le plus grand danger qui guette une communauté autonome est l’unanimisme c’est-à-dire l’intégration généralisée au niveau individuel de règles « transcendantes » qui deviennent peu à peu des points fixes inamovibles que l’on ne peut plus discuter. C’est comme cela que l’on crée une pensée unique et elle est mortelle pour toute société quelle que soit sa taille. Car, contrairement à une idée répandue, le conservatisme des idées n’a jamais garanti la stabilité sociale ou politique. Bien au contraire. Les pays arabo-musulmans sont d’ailleurs aujourd’hui les premières victimes de cette illusion.

Dans le cas d’Enampore, le pluralisme est une donnée culturelle et sociologique avant d’être une réalité politique. Ce petit royaume de 1000 habitants compte 3 religions (animisme, christianisme et islam) qui cohabitent sereinement sans que ni les uns ni les autres ne cherchent à l’emporter. Au sein même de la religion animiste, les multiples fétiches sont aussi autant d’occasions d’obtenir un point de vue différent sur une problématique personnelle ou communautaire.

Mais les différences ne sont pas que confessionnelles. Celles entre les hommes et les femmes sont tout aussi réelles. En effet, la culture Diola donne une grande autonomie patrimoniale, séparément aux hommes et aux femmes. Celles-ci restent propriétaires de leurs propres terres et un système codifié de partage des tâches et des frais d’entretiens des enfants entre les hommes et les femmes permet à chacun de contribuer équitablement aux revenus et aux dépenses du ménage. Les femmes ont ainsi leur indépendance financière et expriment librement leur point de vue lors des assemblées du village.   

C’est cette démocratie directe vivante (que nous avions d’ailleurs aussi vu à l’œuvre à Tizi n’Oucheg) qui est le socle sur lequel peut se bâtir un projet autonome viable. D’autres conditions sont bien entendu à réunir mais une gouvernance fondée sur une participation active des membres de la communauté est la seule garantie que le renouvellement du contrat social qui lie entre eux les acteurs et définit les limites qu’ils acceptent à leur liberté individuelle sera assuré à chaque fois que les conditions l’exigeront.


1 commentaire:

  1. Je voulais te répondre, Ahmed, à la suite de notre précédent échange, que finalement les conclusions de votre périple "Open Village" allaient porter davantage sur l'éducation que sur les conditions d'existence et de fonctionnement d'une communauté.

    Mais non. Il y aura beaucoup à dire aussi sur les communautés. On attend donc avec impatience le livre qui sortira de tout cela, et qui, je l'espère, fera aussi une bonne place au débat. Peut-être le débat même que vous avez eu, que vous avez et que vous aurez au sein de la famille.

    Régler les problèmes politiques au bon niveau : c'est effectivement un défi majeur. Tu parles du chômage et cela me semble un excellent exemple. On attend tout du Président de la République que l'on vient d'élire. Notamment qu'il fasse baisser le chômage. S'il n'y réussit pas, aussitôt sa cote baisse, il se retrouve en proie au "bashing" cette forme de perversion qu'accentuent les réseaux sociaux. Mais, parmi ceux qui ont la critique facile, qui aurait fait mieux ? Personne sans doute. Et cette critique est en outre un moyen de ne pas faire grand-chose soi-même. On a donc, d'un côté, des dirigeants "sur-responsabilisés" et impuissants ; de l'autre, ceux qui, sans prendre leur destin en mains, exercent leur fureur contre les dirigeants. C'est évidemment un peu plus compliqué que ça, mais ce que l'on a vu au cours des dernières années en France, dans la relation entre la classe politique et les citoyens, s'est bien souvent apparenté à ce schéma. Je m'arrête là, car le système va encore me dire que je suis trop long... Continue, en tout cas, à nous nourrir de tes réflexions. On les attend désormais avec impatience !

    RépondreSupprimer

N'hésitez pas à commenter ou à poser des questions!

Vous souhaitez être tenu au courant des nouveaux articles?

Abonnez-vous. Vous recevrez les aricles par mail