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mardi 22 décembre 2015

Des identités paisibles sont-elles possibles?

Nous sommes en ce moment au Vietnam, à des milliers de kilomètres de la politique française et de ses débats parfois lamentables. Mais, bien que nous soyons loin et pas toujours connectés,  je finis toujours par recevoir quelques échos lointains des disputes médiatico-politiciennes hexagonales. Dans la plupart des cas, les aboiements de nos représentants et de leurs porte-voix m'indiffèrent ou, au mieux, me font sourire. Parfois cependant, l'actualité se télescope avec ce que nous vivons au cours de notre voyage et pour peu que le sujet "m'agace" suffisamment, je reprends mon clavier avec rage ... 

C'est le cas aujourd'hui avec la question de l'identité qui refait surface à l'occasion d'une interview de Gilles Kepel par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV à la suite des élections régionales. 
Tout ceci serait une tempête dans un verre d'eau et ne mériterait pas que nous y passions du temps si il n'y avait pas là un enseignement à tirer pour les Open Village. 


Tout d'abord voici le passage de l'interview celui qui a déclenché la "colère" des dirigeants du Front National.






Pour ceux qui souhaiteraient voir l'interview en entier, voici le lien direct.


Sur le débat, d'abord

On le voit bien (encore faut-il être de bonne foi...), ni Bourdin, ni Kepel ne font l'amalgame entre le terrorisme et le Front National. En revanche, ils démontent un processus de repli identitaire qui est commun aux deux "formations" et qui alimente pour une bonne part leur discours idéologique dont l'objectif est de mobiliser leurs bases. 

C'est ce processus identitaire qu'Amin Maalouf décrit dans son court essai "les identités meurtrières".  La conception qu'il y dénonce est "celle qui réduit l'identité à une seule appartenance, installe les hommes dans une attitude partiale,sectaire, intolérante, dominatrice, quelquefois suicidaire." En effet, un habitant de Bosnie-Herzégovine avant la partition, né de père Serbe et de mère croate doit-il se définir comme bosniaque, serbe ou croate, ou doit-il se limiter à une vague appartenance européenne, ou recourir au passé récent pour s'affirmer yougoslave? Mais même après avoir fait ce choix, dont on conviendra qu'il lui est totalement personnel, il sera loin d'avoir épuisé son identité. Il s'est peut-être converti à l'Islam et il entend revendiquer son choix religieux, à moins que ce ne soit son appartenance à un parti politique ou quantité d'autres éléments de sa personnalité complexe : il est peut-être à la fois végétarien, sportif professionnel et homosexuel...      

L'identité, lorsqu'elle est tronquée, souvent réduite à une seule composante, que l'on met en avant au détriment de toutes les autres, est un mensonge par omission et un outil de manipulation. Pour les identitaires de tout poil et de toute barbe, nous sommes soit français, soit musulman ; soit homme, soit homosexuel ; soit blanc soit africain; et c’est cette exclusivité qui nous définit… et avec l'exclusivité vient bien sûr tôt ou tard l’exclusion. Or, avec un minimum d'introspection (ce qu'Amine Maalouf appelle avec humour "faire son examen d'identité"), il devrait être évident à chacun d'entre nous  que nous sommes toujours plus que ce que nous pouvons et surtout que ce que les autres peuvent en dire. Il y a tellement de  dimensions possibles sur lesquelles projeter une identité (pour débuter, les dimensions nationales, religieuses, politiques, sexuelles, professionnelles, psychologiques, historiques, ...) que l'on comprend vite que Maalouf a raison d'inverser la définition de l'identité comme appartenance lorsqu'il rappelle une évidence: "Mon identité c'est ce qui fait que je ne suis identique à aucune autre personne" et d'insister: "l'identité n'est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l'existence."

La fausse identité, celle d'appartenance fixe donc, que l'on agite comme un drapeau avec une mentalité de supporter d'équipe de foot, n'est d'ailleurs même pas une identité positive définie librement.  Elle est le plus souvent une identité en creux, qui s'exprime négativement, en rejet de celle que l'on attribue à l'adversaire du moment.
Ainsi, on n'a jamais plus entendu que la France est catholique que depuis que les français se sentent menacés par l'Islam. Rappelons quand même que la France "fut" la fille aînée de l'Eglise lorsqu'il s'est agi de motiver tout le monde à partir en croisade combattre les infidèles, qu'elle "fut" patrie des droits de l'homme lorsque les monarchies européennes lui firent la guerre; qu'elle "fut" républicaine et férocement laïque lorsque le danger vint de l'Eglise après la restauration et qu'elle "fut" "libre" lorsque les allemands l'occupèrent. J'en oublie certainement, mais si la France fut tant de chose, je crois que l'on peut revendiquer au moins la même richesse pour nous-même.  

La dénonciation par Amine Maalouf de la réduction d'un individu à une seule appartenance s'adresse bien sûr autant à Daesh (pour qui tout le monde doit être musulman selon les critères qu'ils ont défini) qu'au Front National (pour qui les gens habitant en France doivent être français selon la définition qu'ils en donnent). Comme le rappelait Alain Badiou dans son "Eloge de l'amour", le jeu politique a ceci de particulier qu'il est toujours nécessaire de nommer l'ennemi pour se définir soi-même. Daesh nomme l'Occident comme son ennemi, le Front National nomme les "non-français". Dans les deux cas, le processus de "réduction identitaire" pour mobiliser autour de soi est absolument le même. Ce qui diffère c'est que les frontistes ne se font pas sauter et ne tirent pas sur des civils désarmés. Et c'est, accordons leur, une énorme différence. Mais, rappelons-le quand même, on a pu voir des actes de violence extrême commis par des jeunes ayant pris au pied de la lettre la rhétorique nationaliste et son discours catastrophiste sur "la fin de la race blanche" et "l'invasion maghrébo-musulmane". Lorsque l'on manipule des discours de haine et d'exclusion il ne faut pas s'étonner de voir de tels dérapages.    


Quel rapport avec l'autonomie des Open Villages? 

Le rapport entre l’autonomie et la question identitaire est direct. L'autonomie ne peut pas se concevoir autrement que dans une communauté. En effet, atteindre l'indépendance (alimentaire, énergétique, ...) nécessite la solidarité et l'échange. Personne ne dispose de tous les talents, de toutes les capacités et de tout le temps nécessaire pour pouvoir subvenir totalement à l'ensemble de ses besoins. Il faut donc échanger, à l'image de l'artisan qui propose aux habitants d'une communauté paysanne ses services (de bottier, de menuisier, d'électricien, de ferronnier,...) contre les denrées produites par les agriculteurs dans leurs champs. Et puis, il y a aussi des tâches qui ne peuvent être réalisées qu'à plusieurs (aménager une voie de circulation, creuser un puit, construire un réseau d'irrigation, ...). Tizi n'Oucheg est à cet égard un bon exemple de développement autonome dans une solidarité organisée (le fameux Tiwizi dont j'ai déjà parlé dans ce blog).

Or, qui dit communautaire ne dit pas communautariste de même que lorsque l'on dit autonomie on ne veut pas dire autarcie ou individualisme. C'est justement l'une des caractéristiques des Open Villages: ce ne sont pas des sociétés "froides" qui chercheraient à limiter leur entropie pour conserver intact une identité figée. Au contraire, ce sont des sociétés "ouvertes" sur l'extérieur notamment parce que l'extérieur est source d'idées et d'innovations qui peuvent être bénéfiques à l'ensemble de la communauté. Il n'y a donc pas un repli identitaire mais au contraire une ouverture vers la différence même si, et ce n’est pas contradictoire, ces communautés cherchent à préserver leur culture.


Quel rapport avec le Vietnam?  

Nous avons vu deux Vietnam en réalité et l’on pourrait facilement argumenter qu’il en existe bien plus, peut être autant que de minorités.

Au nord, avec les Zao au bord du lac Thac Ba, nous avons été accueillis par une communauté qui entend conserver sa culture même si la modernité a déjà modifié certaines pratiques traditionnelles. Pour l’instant, il nous a semblé que ces modifications étaient relativement marginales.
Plus encore, le magnifique musée de l’ethnologie à Hanoi qui met en scène de manière extraordinaire les activités, les modes de vie, l’habitat même de toutes les minorités vietnamiennes est une marque éloquente de l’attachement de ce peuple à sa diversité. La ville même de Hanoi conserve un caractère qui lui est propre sans que l’on puisse d’ailleurs y déterminer une influence dominante.

Tout au contraire, Saigon (Ho Chi Minh Ville) semble bien avancée dans la voie du consumérisme américain. En cette période de Noël, on entend chanter « Jingle bells » partout avec une « ferveur » qui s’apparente à celle des nouveaux convertis et des Pères Noel habillés en rouge et en bonnet se promènent dans les rues par une chaleur étouffante vantant tel ou tel produit de consommation ou vendant à la sauvette les DVD piratés de blockbusters hollywoodiens. Toutes les grandes marques, qu’elles soient populaires (Starbucks, McDonalds, Burger King, KFC) ou plus luxueuses (Chanel, Chopard, Ralph Lauren, …) sont là et d’autres s’installent chaque jour. Le soir, dans les parcs publics, des couples apprennent à danser le Rock n’Roll tandis qu’à quelques mètres de là d’autres « sculptent » leurs muscles sur des équipements de fitness. 50 ans après avoir vaincu l’impérialisme politique américain, il semble que Saigon soit finalement défaite par l’impérialisme économique et culturel des Etats-Unis.

Finalement, la question avec laquelle nous restons au moment de quitter ce pays est celle-ci : Qui est le Vietnam ? Quelle est son identité ? Celle du Nord ou celle du Sud ? Celle des Viets qui représentent 85% de la population ou bien celle de chacune de ses minorités ?
Faut-il, comme tente de le faire le musée de la révolution à Saigon recourir à l’histoire militaire, au courage des soldats du Viet Minh, à leur endurance et à leur ingéniosité pour trouver un dénominateur commun ? Ou bien est-ce la mosaique de ces populations parfois très différentes qui représente au fond l’identité vietnamienne comme le présente de manière assez convaincante le Musée d’ethnologie de Hanoi?

Conclusion

Les petites communautés sont fragiles et leurs membres peuvent être facilement manipulés ou intimidés (ne serait-ce que par la menace d'exclusion). Les communautés autonomes des "open Village" doivent donc se construire autour d'une autre définition de l'identité, celle qui reconnait que chaque individu est unique et finalement le seul à être identique à lui-même. Quel est alors le ciment? Non pas l'identité mais le projet collectif et la culture partagée qui, elle, se comprend très bien comme une somme de micro-cultures, d'histoires collectives et individuelles, de savoir-faire techniques et artistiques, de modalités d'expressions et de formes de spiritualités qui sont incarnées dans chacun des membres de la communauté.

La culture est en fait la reconnaissance au niveau collectif que l'identité d'obtient par sommation d'expériences et non pas par soustraction de composantes que l'on juge à tel ou tel moment moins importantes que d’autres. Il est illusoire (et d’ailleurs dangereux) de défendre UNE identité dont on voit bien qu’elle peut être manipulée à l’envi par ceux qui font métier de cliver et de diviser. Au contraire, il faut défendre LES cultures, chacune d’entre elles, depuis celle qui concerne le plus grand nombre à celles des plus petites tribus, de la plus moderne à la plus archaïque, de la plus urbaine à la plus rurale, car chaque culture est une solution trouvée par un groupe humain aux problèmes qui l’entourent. Laisser mourir des cultures dans l’oubli c’est comme laisser bruler des pages de l’unique exemplaire de l’Encyclopedia Universalis qui resterait à l’humanité. C’est un trésor d’idées, de connaissances, de pratiques, de conceptions de l’existence, qui pour certaines ont mis des millénaires à se constituer qui disparaitrait pour de bon, et avec elles une expérience collective dont n’importe quelle société même hyper-technologique, même riche économiquement pourrait avoir besoin à un moment de son histoire. 

Finalement, en guise de conclusion de cette conclusion, je vous laisse avec ce souhait de Amine Maalouf que je fais mien:

"Pour ce livre, qui n’est ni un divertissement ni une œuvre littéraire, je formulerai [ce] vœu […] : que mon petit-fils, devenu homme, le découvrant un jour par hasard dans la bibliothèque familiale, le feuillette, le parcoure un peu, puis le remette aussitôt à l’endroit poussiéreux d’où il l’avait retiré, en haussant les épaules, et en s’étonnant que du temps de son grand-père, on eût encore besoin de dire ces choses-là"


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