Lui : « Qu'est ce que vous comptez faire dans le village ? »
Nous : « Rencontrer les gens, discuter avec eux, essayer de comprendre comment ils vivent. »
Lui : « Je ne suis pas sûr qu'il le sachent eux même, ils se laissent vivre voilà tout. »
Nous : « Les habitants ont-ils été prévenus de notre arrivée ? »
Lui : « Non. Je ne les ai pas prévenu car en fait ils s'en foutent. Vous êtes là, c'est bien, vous n’y êtes pas, c'est bien aussi. Ils n'ont pas besoin de vous. »
Nous : « Rencontrer les gens, discuter avec eux, essayer de comprendre comment ils vivent. »
Lui : « Je ne suis pas sûr qu'il le sachent eux même, ils se laissent vivre voilà tout. »
Nous : « Les habitants ont-ils été prévenus de notre arrivée ? »
Lui : « Non. Je ne les ai pas prévenu car en fait ils s'en foutent. Vous êtes là, c'est bien, vous n’y êtes pas, c'est bien aussi. Ils n'ont pas besoin de vous. »
Quelques jours plus tard...
Lui : « Alors, vous vous plaisez ? »
Nous : « Tellement bien qu'on pourrait y vivre. Quand on voit les gens, on se dit qu’avec très peu d’argent on peut avoir une vie douce. »
Lui : « C'est vrai pour eux. Mais nous n'avons pas les mêmes besoins... »
Lui : « C'est vrai pour eux. Mais nous n'avons pas les mêmes besoins... »
Episode 3/3
Impossible sobriété heureuse?
L’idée de sobriété heureuse est fondée sur
le postulat qu'il existe des priorités de besoins : les vrais besoins qui sont indispensables à notre
survie et les autres. Elle se fonde aussi sur l'idée que l'on peut définir une quantité
suffisante permettant d’assouvir les vrais besoins et que tout ce qui est
supérieur à cette quantité est superflu. Est alors sobre celui qui ne se préoccupe que des
« vrais besoins » et qui limite au strict nécessaire la quantité qu'il consomme
pour y répondre.
Mythologies, religions et philosophie ont
participé pour une grande part à cette idée depuis Epicure avec sa
catégorisation en besoins naturels et nécessaires, Diogène de Cynope qui nous
invitait à limiter nos possessions au strict nécessaire, ou les stoïciens qui
nous enseignaient que les honneurs, les biens et les richesses peuvent nous
être retirés à tout moment et qu'il convient d'apprendre à vivre sans eux.
L'hybris tant de fois dénoncée dans la mythologique grecque nous dit que la
démesure est mauvaise et le mythe de Prométhée enseigne à l'homme qu'il doit limiter sa
puissance. L’Eglise catholique propagea l'idée que les biens de ce monde ne sont pas
les plus importants au salut de l'homme. Plus proches de nous Marx avec sa condamnation du
fétichisme de l’objet et tous les critiques de la société
de consommation de Marcuse à Pierre Rabhi en passant par Castoriadis, Gorz ou Illitch, ont chanté les vertus de la simplicité et d'une certaine frugalité.
Pourtant, on l'a vu, la notion de besoin est
très fragile tant dans sa valeur descriptive
(qu'est ce que réellement un besoin ?) qu’opératoire (combien est
assez lorsqu'une part du manque est un fantasme ?).
De plus, que les besoins et leur hiérarchisation soient des illusions sociales ne permet pas de penser qu'il suffirait de les établir comme telles pour que tout à
coup chacun puisse se libérer de leur pouvoir. Bien au contraire, il semble bien que l'internalisation des besoins soit la
manifestation de la nécessité pour chaque être humain
d'appartenir à la société dans laquelle il vit. Cette nécessité d'appartenance
se traduit par un acquiescement tacite à un "package de besoins" spécifique que chaque société humaine nous suggère pour devenir des "citoyens complets".
Ainsi, le besoin est la manifestation de la socialisation des individus sous la forme de
« dis-moi ce dont tu as besoin et je te dirai si tu fais partie de ma société ».
C'est le point de départ de ce qui peut devenir le désir mimétique chez René Girard
mais qui ne se limite pas à cela. Le besoin est en creux ce qui fait que l'on
se reconnaît: on se reconnaît par ce que l'on possède tous (une maison, une
voiture, ...) mais aussi ce que l'on ne possède pas et que l'on estime être
nécessaire pour vivre dans une société particulière.
La sobriété heureuse est-elle un idéal?
Vouloir faire de nous des êtres purement raisonnables, mesurés dans leurs besoins, limités même volontairement dans leurs envies et dans leurs jouissances ne serait rien d'autre qu'une nouvelle forme de totalitarisme qui nous voudrait tous identiques et interchangeables. Le rêve d'une société enfin libérée de l'aliénation consumériste, née de la pénurie et bâtie sur le rejet de l'excès et du gaspillage, risquerait alors de se transformer en cauchemar totalitaire, une société d'abeilles obéissantes, gouvernée par des experts qui nous diront de quoi nous avons réellement besoin et en quelle quantité.
La sobriété heureuse
n'est pas un rejet de l'aliénation par les besoins. Elle n'est que (mais c'est déjà beaucoup) la philosophie des besoins pour ce temps. Elle correspond à la
perception contemporaine des excès du consumérisme, des dégâts humains et
environnementaux qu'il a causé et de la probable période de pénurie qui nous
attend. D'une certaine manière nous adaptons nos besoins non à un idéal de
vertu (peu c'est mieux) mais à ce que nous croyons être possible de satisfaire dans le futur.
Conclusion
Conclusion
A l'autre bout du monde, les habitants de New
Panggangan, petit village isolé dans l'un des pays les plus pauvres au monde, semblent réussir quotidiennement et sans effort ce que Bergson dans "Les deux sources de la morale et de la religion" nous encourageait à faire : non pas se priver mais ne pas sentir
la privation.
A Manille, dans le quartier de l'aéroport, on
pouvait lire une petite annonce collée à un mur noir de crasse :
« Wanted male bed space ». Ici, on ne rêve pas d'une maison au bord
de la mer, de sable fin et de poisson frais au dîner. On ne cherche pas un
studio à louer ou même une simple chambre. On
demande simplement à partager une place de lit pour y oublier la fatigue
et la misère et trouver la force de recommencer à se battre chaque matin.
Thierry a raison : nous n'avons pas tous les mêmes besoins...
Thierry a raison : nous n'avons pas tous les mêmes besoins...
Lire le premier épisode: Drôles de philippins!
Lire l'épisode précédent: Drôles de besoins!
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