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jeudi 11 février 2016

Ils n'ont pas besoin de vous : drôles de société (3 sur 3)


Lui : « Qu'est ce que vous comptez faire dans le village ? »
Nous : « Rencontrer les gens, discuter avec eux, essayer de comprendre comment ils vivent. »
Lui : « Je ne suis pas sûr qu'il le sachent eux même, ils se laissent vivre voilà tout. »
Nous : « Les habitants ont-ils été prévenus de notre arrivée ? »
Lui : « Non. Je ne les ai pas prévenu car en fait ils s'en foutent. Vous êtes là, c'est bien, vous n’y êtes pas, c'est bien aussi. Ils n'ont pas besoin de vous. »

Quelques jours plus tard...

Lui : « Alors, vous vous plaisez ? »

Nous : « Tellement bien qu'on pourrait y vivre. Quand on voit les gens, on se dit qu’avec très peu d’argent on peut avoir une vie douce. »
Lui : « C'est vrai pour eux. Mais nous n'avons pas les mêmes besoins... »


Episode 3/3


Impossible sobriété heureuse?

L’idée de sobriété heureuse est fondée sur le postulat qu'il existe des priorités de besoins : les vrais besoins qui sont indispensables à notre survie et les autres. Elle se fonde aussi sur l'idée que l'on peut définir une quantité suffisante permettant d’assouvir les vrais besoins et que tout ce qui est supérieur à cette quantité est superflu. Est alors sobre celui qui ne se préoccupe que des « vrais besoins » et qui limite au strict nécessaire la quantité qu'il consomme pour y répondre.  


Mythologies, religions et philosophie ont participé pour une grande part à cette idée depuis Epicure avec sa catégorisation en besoins naturels et nécessaires, Diogène de Cynope qui nous invitait à limiter nos possessions au strict nécessaire, ou les stoïciens qui nous enseignaient que les honneurs, les biens et les richesses peuvent nous être retirés à tout moment et qu'il convient d'apprendre à vivre sans eux. L'hybris tant de fois dénoncée dans la mythologique grecque nous dit que la démesure est mauvaise et le mythe de Prométhée enseigne à l'homme qu'il doit limiter sa puissance. L’Eglise catholique propagea l'idée que les biens de ce monde ne sont pas les plus importants au salut de l'homme. Plus proches de nous Marx avec sa condamnation du fétichisme de l’objet et tous les critiques de la société de consommation de Marcuse à Pierre Rabhi en passant par Castoriadis, Gorz ou Illitch, ont chanté les vertus de la simplicité et d'une certaine frugalité. 

Pourtant, on l'a vu, la notion de besoin est très fragile tant dans sa valeur descriptive  (qu'est ce que réellement un besoin ?) qu’opératoire (combien est assez lorsqu'une part du manque est un fantasme ?).

De plus, que les besoins et leur hiérarchisation soient des illusions sociales ne permet pas de penser qu'il suffirait de les établir comme telles pour que tout à coup chacun puisse se libérer de leur pouvoir. Bien au contraire, il semble bien que l'internalisation des besoins soit la manifestation de la nécessité pour chaque être humain d'appartenir à la société dans laquelle il vit. Cette nécessité d'appartenance se traduit par un acquiescement tacite à un "package de besoins" spécifique que chaque société humaine nous suggère pour devenir des "citoyens complets".

Ainsi, le besoin est la manifestation de la socialisation des individus sous la forme de « dis-moi ce dont tu as besoin et je te dirai si tu fais partie de ma société ». C'est le point de départ de ce qui peut devenir le désir mimétique chez René Girard mais qui ne se limite pas à cela. Le besoin est en creux ce qui fait que l'on se reconnaît: on se reconnaît par ce que l'on possède tous (une maison, une voiture, ...) mais aussi ce que l'on ne possède pas et que l'on estime être nécessaire pour vivre dans une société particulière.


La sobriété heureuse est-elle un idéal?

Vouloir faire de nous des êtres purement raisonnables, mesurés dans leurs besoins, limités même volontairement dans leurs envies et dans leurs jouissances ne serait rien d'autre qu'une nouvelle forme de totalitarisme qui nous voudrait tous identiques et interchangeables. Le rêve d'une société enfin libérée de l'aliénation consumériste, née de la pénurie et bâtie sur le rejet de l'excès et du gaspillage, risquerait alors de se transformer en cauchemar totalitaire, une société d'abeilles obéissantes, gouvernée par des experts qui nous diront de quoi nous avons réellement besoin et en quelle quantité.
En réalité, ce risque est lui aussi un fantasme. Tout comme les valeurs et les cultures, les besoins évoluent indépendamment des philosophes et des pouvoirs. La forme que prend l'expression d'un besoin est d'ailleurs un marqueur de l'évolution de l'imaginaire d'une société. Ainsi par exemple, le besoin de mobilité (avec les solutions émergentes de covoiturage, location, ...) a remplacé aujourd'hui le besoin de voiture dans une société plus soucieuse de l'environnement et du gaspillage. Bientôt, ce qui exprimeront le besoin d’une voiture auront soit une très bonne raison de s'en tenir au vieux schéma de la propriété d'un véhicule, ou devront subir la réprobation voire l'exclusion de la part de la nouvelle majorité. Les experts et les philosophes ne sont jamais aux avant-garde de tels changements sociétaux. Ils se bornent tout au plus à les conceptualiser et à les contextualiser pour leur donner un sens. Le mouvement précède ici toujours la réflexion.  


La sobriété heureuse n'est pas un rejet de l'aliénation par les besoins. Elle n'est que (mais c'est déjà beaucoup) la philosophie des besoins pour ce temps. Elle correspond à la perception contemporaine des excès du consumérisme, des dégâts humains et environnementaux qu'il a causé et de la probable période de pénurie qui nous attend. D'une certaine manière nous adaptons nos besoins non à un idéal de vertu (peu c'est mieux) mais à ce que nous croyons être possible de satisfaire dans le futur.


Conclusion

A l'autre bout du monde, les habitants de New Panggangan, petit village isolé dans l'un des pays les plus pauvres au monde, semblent réussir quotidiennement et sans effort ce que Bergson dans "Les deux sources de la morale et de la religion" nous encourageait à faire : non pas se priver mais ne pas sentir la privation.   

A Manille, dans le quartier de l'aéroport, on pouvait lire une petite annonce collée à un mur noir de crasse : « Wanted male bed space ». Ici, on ne rêve pas d'une maison au bord de la mer, de sable fin et de poisson frais au dîner. On ne cherche pas un studio à louer ou même une simple chambre. On  demande simplement à partager une place de lit pour y oublier la fatigue et la misère et trouver la force de recommencer à se battre chaque matin.

Thierry a raison : nous n'avons pas tous les mêmes besoins...

Lire le premier épisode: Drôles de philippins!
Lire l'épisode précédent: Drôles de besoins!


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