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lundi 4 avril 2016

Bureaucratie 3ème partie - Le pouvoir de la violence

Lorsque l’on s’intéresse à la simplicité volontaire, il est facile de perdre rapidement le sens des réalités… Par là je ne veux pas dire que cette simplicité est utopique. Bien au contraire, il me semble que c’est le monde dans lequel nous vivons qui l’est, au travers de sa dimension la plus prégnante puisqu’elle a fini par constituer la trame sur laquelle se tisse la quasi-totalité de nos existences. Je veux bien entendu parler de la bureaucratie qui a peu à peu remplacé la réalité elle-même ou plutôt qui a réussi à redéfinir le sens de cette réalité.

3ème Partie - Le pouvoir de la violence

Chaque formulaire que nous devons remplir est un rappel que l’Etat a le pouvoir et non pas l’individu. Chaque case que nous cochons nous démontre qu’il existe bien un « plus froid des monstres froids » qui décide de ce que nous pouvons faire ou être. Cela commence bien sûr avec les prénoms que l’on nous autorisait jusque très récemment à donner à nos enfants, puis avec les notes que l’on nous donne à l’école et qui définissent les métiers que nous aurons le droit d’exercer. Cela continue avec nos droits à la sécurité sociale (c’est-à-dire à bénéficier de la solidarité, de l’entraide et de la charité qui ont été institutionnalisés par l’Etat), et avec les dossiers de plus en plus fournis que nous devons remplir pour obtenir un logement ou un emploi. Et cela ne se termine que longtemps après notre mort qui elle non plus n’est pas exempte de formulaires absurdes et de processus incompréhensibles (ceux qui ont eu à gérer le dossier de succession d’un parent « moyennement méticuleux » dans la tenue de ses papiers personnels savent de quoi je parle).

A un premier niveau, ces multiples contraintes, autant bénignes apparemment qu’aurait été sans conséquence leur transgression, sont à chaque fois desmicro-violences dans la mesure où elles restreignent des libertés qu’autrement nous exercerions. La multiplication des interdits obscurs, des injonctions administratives incompréhensibles, des règlements contradictoires, créent de fait un climat général d’insécurité pour les citoyens qui sont censés les respecter à la lettre.

Ce seul sentiment d’insécurité, de « peur du gendarme », qui emprisonne les esprits, gèle l’esprit critique et nous fait obéir sans que nous n’osions nous rebeller, ne suffirait pas à expliquer notre soumission si on ne lui ajoutait pas un composant de violence réelle.

Note : Par manque de place, j’écarte délibérément de cette discussion le point de vue selon lequel nous aimons la bureaucratie pour ce qu’elle nous apporte et que, loin de nous y soumettre, nous nous en contentons dans une sorte de calcul utilitariste où les bienfaits de la bureaucratie compenseraient largement ses limitations et ses erreurs. Il y a en effet une « utilité » bureaucratique, sans elle bien des choses que nous considérons comme essentielles à notre bien-être ne fonctionneraient sans doute pas de la même manière. Mais sans trop entrer dans les détails de l’argumentaire car nous aurons l’occasion de le développer dans le prochain post, il est intéressant de noter que c’est notre incapacité à imaginer des alternatives non bureaucratiques à l’école, au système de santé, au fonctionnement de la démocratie, à la gestion de la sécurité, etc. qui explique notre attachement aux bureaucraties qui les gèrent. Même lorsque l’on se place sur un plan moins directement utilitaire, les principes d’équité et de transparence, que la bureaucratie se vante de garantir, semblent foulés au pied quotidiennement dans les administrations et les bureaux fermés des hommes de pouvoir. Quant à la prétendue « efficacité » bureaucratique, je ne vais pas me mettre à tirer sur les ambulances…


La violence bureaucratique n’est pas métaphorique

C’est la violence, par là je veux bien dire celle qui se botte, se casque, s’arme de longs bâtons, de tasers ou de fusils, qui explique en réalité notre soumission à la réalité bureaucratique. Je ne parle pas d’une violence métaphorique ou d’une menace de violence qui servirait à communiquer un message. Je parle de la capacité de l’Etat et de ceux à qui il délègue ce pouvoir, de nous faire du mal physiquement. Je sais que pour la plupart d’entre nous cela semble un peu exagéré de parler de l’Etat comme d’une organisation ultra-violente prête à toute les exactions pour garantir sa main mise sur ses « sujets ». Après tout, les états démocratiques ne sont ni comme la mafia calabraise qui assassine ceux qui refusent de payer « l’impôt », ni comme la dictature syrienne qui préfère une guerre civile à l’abandon du pouvoir, n’est-ce-pas ? Certes… Mais s’il n’est sans doute pas nécessaire de mettre une balle dans la tête de celui qui paie en retard sa taxe d’habitation, ni de déclencher un génocide pour quelques squatteurs qui refusent de libérer un immeuble, n’y-t-il a pas pareillement une force physique qui s’exerce à l’encontre de récalcitrants dont le moins que l’on puisse dire est que leur comportement réfractaire met très rarement en danger la vie ou l’intégrité physique d’autrui ?

Imaginons que nous ayons essayé de prendre l’avion quand même pour la Nouvelle-Zélande avec les deux petits (je rappelle leur âge : 10 ans) et que grâce à l’inattention (ou la complicité) d’un employé de la compagnie aérienne nous ayons réussi à embarquer. Que croyez-vous qu’il se serait passé à l’arrivée ? Nous aurions immédiatement été entourés de policiers qui nous auraient demandé de nous mettre à l’écart pour que l’on « traite » notre problème. Dans le cas présent, le traitement en question aurait sans aucun doute été un renvoi à la case départ avec peut-être même une pénalité financière. Supposons maintenant que forts de notre bon droit (après tout, si tout le monde dans la famille avait pu obtenir le visa, il n’y avait aucune raison logique pour que nos deux enfants ne puissent pas eux aussi l’avoir), nous insistions pour entrer quoiqu’il arrive. Il n’aurait pas fallu très longtemps pour que d’autres policiers viennent prêter main forte à ceux déjà présents pour nous mettre à terre, nous menotter et nous envoyer en cellule le temps qu’un avion puisse nous ré-embarquer. Imaginons enfin que, révoltés par le traitement que nous étions en train de subir, la foule qui faisait la queue avec nous exprime sa colère et décide de nous protéger ou même de nous libérer. Alors là, je suis certain que les mêmes policiers et beaucoup d’autres appelés en renforts auraient sorti matraques et gaz incapacitants pour reprendre le contrôle de cette situation « insurrectionnelle ». Rien de tout cela ne s’est passé, je vous rassure. Pourquoi ? Parce qu’inconsciemment nous avions intériorisé que « forcer le passage » n’était pas une bonne idée car il risquait de se produire ce que j’ai décrit plus haut : une réponse violente des agents de l’Etat qui ne soit en rien métaphorique.       

Je ne nie pas que dans la plupart des cas la violence reste au niveau de la menace et soit simplement un mode de communication (« Faites cela ou bien je vous ferai du mal »). Mais comme toute menace, pour qu’elle fonctionne, qu’elle produise des effets sur ceux qu’elle est chargée d’intimider, il faut qu’elle soit crédible. Personne n’a peur de la Corée du Nord et de ses menaces répétées d’annihiler le Sud et ses alliés sous le feu nucléaire parce que personne n’y croit. Durant la guerre froide tout le monde était terrifié par la même menace proférée par les deux grandes puissances. La différence ? Les deux belligérants avaient démontré leur capacité à faire exploser des bombes atomiques et personne ne doutait de leur volonté à appuyer sur le bouton si la situation semblait le nécessiter. Après tout, les Etats-Unis avaient rayé de la carte Hiroshima et Nagasaki et l’Union Soviétique n’avait pas hésité à envoyer ses chars en Hongrie et en Tchécoslovaquie pour mater dans le sang des rébellions civiles.

Ainsi, pour qu’une menace soit crédible, il faut qu’elle se réalise parfois. L’Etat doit régulièrement démontrer qu’il ne plaisante pas, qu’il ne parle pas en l’air lorsqu’il dit : « Dispersez-vous ou nous chargeons ! ». Alors de temps en temps, les sections anti-émeutes chargent, même lorsqu’en face les « émeutiers » sont assis et n’ont pour seul arme que des pancartes réclamant du travail, plus de libertés publiques, ou l’arrêt d’un chantier d’aéroport.

C’est donc bien la peur du gendarme, c’est-à-dire de la figure du bureaucrate armé avec lequel aucune discussion raisonnable n’est possible, qui fait accepter les humiliations et l’arbitraire aux étrangers qui font la queue devant les services des visas des consulats des pays européens. C’est encore elle qui fait baisser la tête au chômeur en fin de droit lorsqu’un fonctionnaire lui annonce avec mépris qu’il n’a plus qu’à se trouver un travail s’il veut éviter d’être expulsé de son logement. C’est encore la même peur qui fait détourner les yeux au passant qui assiste médusé dans les couloirs du métro à une interpellation « musclée » d’un jeune qui n’a eu que le seul tort d’être excédé par la répétition des contrôles et de l’avoir dit.

Encore une fois, pour me faire bien comprendre, je ne dis pas que nous vivons dans une société totalitaire dans laquelle la violence d’Etat peut surgir à tout moment et s’abattre sur le contestataire ou le marginal. Je dis que cette violence est omniprésente au sens où nous l’avons intégré dans nos peurs inconscientes et qu’elle est donc là, en nous, dès que l’on voit l’ombre d’un képi. Je dis aussi que pour que ce processus d’intériorisation ait lieu et qu’il conditionne ainsi nos comportements avec une telle efficacité, il faut que cette violence s’exerce réellement même si ce n’est que de manière exceptionnelle (pour autant que tout le monde le sache, mais la télévision est là pour çà). 


La violence bureaucratique dans le monde privé

Le fait que les organisations militaires qui ont servi de modèles au secteur privé fonctionnent avec une énorme quantité de violence imposée en cascade depuis les niveaux supérieurs de la hiérarchie a sans doute échappé aux théoriciens des organisations dont j’ai mentionné l’influence sur les modes d’organisation des entreprises dans le post précédent. Pourtant, c’est la violence, de la simple brimade au poteau d’exécution décidé par une cour martiale, et la terreur qu’elle inspire aux simples soldats, qui explique la capacité des armées à envoyer des hommes mourir au front dans un processus relativement ordonné.

Dans les entreprises privées, les cadres et les dirigeants n’ont heureusement pas le pouvoir de convoquer une cour martiale et ont très rarement la possibilité de disposer d’un corps d’agents de sécurité prêts à faire le coup de poing en cas de grogne autour de la machine à café. Dans tous les cas pour lesquels l’appel à la force publique n’est décemment pas possible, les managers ont donc dû imaginer d’autres procédés pour faire respecter l’ordre bureaucratique. Ce qu’ils ont trouvé est un témoignage à la créativité des bureaucrates lorsqu’il s’agit de défendre le système qui les abrite et qui leur donne du pouvoir : que ce soient des règlements internes rédigés de telle manière qu’il est toujours possible de démontrer qu’une critique est en fait de l’insubordination, ou des harcèlements répétés sur le lieu de travail avec la complicité des toutes puissantes directions des ressources humaines,  ou encore des charrettes de licenciement à répétition pour faire régner la terreur dans les troupes, ou « l’espionnage » des emails envoyés et reçus sur le lieu de travail, ou l’organisation d’une ambiance de travail ultra-compétitive rendant difficile toute revendication collective, etc., à chaque fois le procédé semble tiré (avec une très légère adaptation) de « l’art de la  guerre » de Sun-Tzu ou d’un manuel de guérilla.
Ceci dit, si les modalités sont très variées, le résultat est toujours le même : plus personne ne bouge, plus personne ne critique, plus personne n’exprime d’idées nouvelles. Lorsque la peur de perdre son emploi et de se trouver en situation de précarité ne suffit pas, la loi autorise les agents de sécurité privés (c’est-à-dire de fait un corps privatisé de police) à interdire l’accès d’un bureau ou d’une usine aux contestataires en utilisant une « force appropriée ». Si la situation dégénère (occupation d’usines, séquestration de dirigeants, ...), on pourra toujours faire appel aux CRS…


La violence rend stupide le maître comme l’esclave

La violence est condamnable. Et lorsque l’Etat en abuse, il lui arrive de devoir rendre des comptes, du moins dans des régimes démocratiques et dans certaines situations très précises. Mais si l’on quitte le terrain de la loi, de la morale, voire même celui de l’efficacité instrumentale, la violence d’Etat reste intolérable et ce pour une raison de fond qui a trait à notre capacité (ou plutôt notre incapacité) à penser intelligemment l’avenir dans un environnement où la contrainte violente règne.

Comme le montre l’exemple de la douane néo-zélandaise, les bureaucrates n’aiment rien tant que des « assujettis » qui obéissent bêtement en restant « dans les cases ».  Celui qui veut faire le malin ou qui,par souci d’exactitude, cherche à interpréter la demande qui lui est faite, est toujours en erreur. De fait, c’est certainement l’un des réflexes inconscients les plus partagés par tous les hommes sur cette planète que d’éteindre son cerveau lorsque l’on pénètre dans une administration.

Mais le pouvoir sur autrui fondé sur la force a ceci d’insidieux qu’il rend le maître encore plus stupide que l’esclave. Après tout, l’esclave, le dominé,ne peut pas toujours s’empêcher d’essayer de comprendre ou d’anticiper les requêtes parfois peu clairesdu maître ne serait-ce que pour éviter le coup de bâton ou la réprimande, exerçant ainsi au minimum son intelligence interprétative. Mais le maître, lui, fort de sa domination physique et de l’ascendant psychologique qu’il exerce sur l’esclave n’a pas besoin de faire cet effort, ni même de s’assurer qu’on l’a bien compris. Il lui suffit de punir après la faute. Ceux qui ont eu à revenir trois fois dans une administration car la liste des documents exigés n’était pas complète ont été les victimes de cette paresse de l’intelligence chez les bureaucrates. Cette paresse n’est pas due à une quelconque « insuffisance cérébrale » ou à un défaut de rigueur ou de formation. C’est, plus gravement, une conséquence directe du pouvoir de violence qui leur a été délégué par l’Etat.

Il y a quelques années, j’ai été arrêté par un policier pour avoir dépassé la limite de vitesse de 7 km/h sur une route droite à double voie totalement vide. Lorsque, un peu agacé, j’ai demandé au commissaire de la zone s’il pensait que l’installation d’un radar mobile à cet endroit était l’usage le plus intelligent de cet équipement acheté avec l’argent du contribuable, alors que je pouvais lui citer au moins dix endroits dangereux pour les piétons et les automobilistes autour de son commissariat, il me répondit sans ciller : « On ne nous demande ni à vous ni à moi de réfléchir ». Voilà qui avait le mérite d’être clair : il ne faut pas troubler le sommeil du fonctionnaire lorsqu’il ne sait plus qu’appliquer le règlement. Cette démission de l’intelligence chez ceux qui sont censés nous « administrer » est pour le moins troublante. Elle devient carrément inquiétante lorsqu’on réalise qu’elle oblitère toute capacité à changer les choses par une réflexion critique. C’est ce dont nous parlerons dans le prochain post.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    J'adore votre périple et son fondement.
    Vous m'inspirez beaucoup.
    http://www.laoujetemmenerai.net/open-villages/

    Et si refuser les visas pour les enfants était le moyen d'empêcher toute immigration déguisée.

    Les enfants ne pouvant mettre le pieds sur le territoire, l'administration NZ est sûre que les adultes vont repartir.
    Pas de scandale ensuite d'enfants intégrés (allant à l'école par exemple) soudainement expulsés avec leurs parents, comme nous avons pu le voir en France.

    Juste une hypothèse sachant que les politiques frontalières de l'Australie et de la NZ sont très protectionnistes.
    Et puis leur réaction dépend probablement aussi de la nationalité du passeport.

    Au plaisir de vous lire encore.

    Caps

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